Je fus toute ma vie à la recherche de moi-même à travers différentes techniques de danse. J’ai vu les danses de Gurdjieff pour la première fois dans le film « Rencontre avec des hommes remarquables ». Je vivais alors en Inde, dans la communauté d’Osho. Il m’avait personnellement demandé d’étudier la démonstration des Mouvements donnés à la fin du film, pour commencer leur apprentissage et pouvoir ensuite les enseigner dans sa communauté. Quelque chose a si fortement retenu mon attention, que j’en eu la respiration coupée. Bien que les danses soient belles et charismatiques, ce n’était pas leur esthétique, leur beauté qui m’avaient subjuguée, mais quelque chose qui transparaissait derrière le mouvement visible, un état intérieur reflété sur le visage des danseurs, une qualité particulière de présence. J’avais devant les yeux une ‘technique’ de danse dans laquelle, indéniablement, l’être tout entier participe et pas simplement le corps. Ce n’était pas la création d’une danse, mais la création de danseurs au travers de la danse. Ils semblaient habités par des forces inhérentes aux mouvements eux-mêmes, par une nouvelle essence. Je me suis rendu compte que chaque mouvement extérieur n’était que l’extrémité d’un iceberg, que des formes intérieures composaient un chemin vivant et un chemin de vie. Que peut-être j’aurais enfin la chance d’incarner, après mes longues années de recherche, le lien entre la danse et la méditation.
C’est avec bonheur que je me suis lancée corps et âme, dans ce qui deviendrait une toute nouvelle discipline pour mon corps, mon esprit et mon cœur… Au début, cela semblait être un grand travail de coordination, de rythme et une nouvelle façon d’habiter mon corps, en raison de ce style de postures, transitions, séquences inconnues jusqu’alors : les pieds suivent un certain rythme, le bras droit un autre, le bras gauche un autre encore, ou des séries de mouvements étrangement asymétriques, une partie du corps arrondie et l’autre staccato
Cependant je découvre que ce processus offre bien plus que cela : il agit également au niveau des canaux d’énergie, débloquant des nœuds émotionnels, se débarrassant de vieux systèmes de croyances. Il m’est arrivé de ressentir une nouvelle restructuration au niveau du cerveau, comme si des sentiers inexplorés se transformaient soudainement en des circuits ouverts, que de nouveaux passages s’ouvraient entre les 2 hémisphères du cerveau.
Dans l’enseignement, nous harmonisons le travail des deux hémisphères. L’hémisphère droit, qui apprend à travers une vision globale, l’intuition, le fusionnement et l’amour. L’hémisphère gauche, qui apprend à travers des modèles précis, une perception exacte, l’observation des détails.
Lorsque la musique et les mouvements s’arrêtèrent, j’observais avec étonnement une nouvelle qualité d’énergie circulant puissamment à l’intérieur du corps et la joie de cette réalisation inonda mon cœur. De toute ma carrière de danseuse, je n’avais jamais eu cette expérience ! Je commençais à m’engager émotionnellement, tout en restant détachée grâce à l’observation. Je me suis mise à examiner tous les différents climats des Mouvements : l’espace intérieur paisible de certaines prières ; l’aspiration, la nostalgie éveillée par d’autres ; le déchirement du cœur provoqué par le sentiment de savoir que ‘je’ suis bien plus que ce que je vis ; le feu intérieur, la passion et la détermination déclenchés par les danses derviches et aussi l’humour contenu dans certains passages. Je commençais à incarner dans ma chair le langage des différentes positions et les transitions de l’une à l’autre. L’important n’est pas juste d’accéder à la position, mais la façon d’y parvenir, ce continuel message ininterrompu donné par le mouvement et ses composants : parfois, un tout petit changement de la position spatiale des doigts de la main, et le sens change radicalement. À condition bien sûr, encore et encore, que quelqu’un soit ‘présent’, témoin, et à condition que l’Être domine le faire. Et à ce moment-là, nous faisons l’expérience de la trilogie exprimée aussi de façon verbale dans certaines danses :
« Je suis, je souhaite, je peux »
Je suis, donc, je peux.
Juste cela ouvrit une nouvelle direction dans ma vie quotidienne.
Si « je suis », unie dans mon corps, mon cœur et mon esprit, en ce lieu et cet instant, je suis alors capable d’agir dans la vie de façon consciente et efficace.
Les mouvements me montrent que soit je suis présente, avec mes trois centres, physique, émotionnel et intellectuel, se soutenant les uns les autres, soit je ne suis pas présente. Il n’y a pas d’à-peu-près.
Et le goût de ces deux états est si différent ! L’un est l’état brumeux du sommeil, du doute, de l’anxiété et l’autre donne un goût de liberté, d’espace, de silence et d’harmonie.
Amiyo Devienne