L’immobilité se tient derrière tout mouvement

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L’immobilité est notre nature.

Même au milieu d’une agitation profonde, un centre existe où règne l’immobilité. Dans cet endroit paisible et immobile réside notre véritable existence.

Les mouvements de Gurdjieff offrent l’opportunité unique de nous conduire à cette immobilité.

Quand une roue est immobile il est difficile de trouver le centre qui ne bouge pas. Mais si la roue tourne il est facile de distinguer son axe parce qu’il ne bougera pas. Quand le mouvement continue, la roue tourne de plus en plus vite et le point central apparait dans son immobilité parfaite.
Ce point immobile est la centre de tous les mouvements.

En observant le corps bouger, l’observateur reste intact. Peu à peu, l’observateur s’écarte laissant place au centre, un espace vide, immobile et pourtant si plein !

Le corps est la terre, la conscience est le ciel et entre les deux s’établit un magnifique cercle d’échange. Mais souvent cette transaction fluide se perd quelque part dans le désert du monde. La rivière n’atteint jamais l’océan.

Comment associer ciel et terre à l’intérieur de nous ?

Nous pouvons commencer simplement par observer notre corps, de la surface (les formes extérieures des mouvements) jusqu’aux niveaux plus profonds (les formes intérieures des mouvements). La pratique des mouvements est comme celle de peler un oignon.

  • Pour commencer, nous nous familiarisons avec la forme extérieure des mouvements, leurs rythmes, leur dynamisme, leurs séquences et leurs déplacements dans l’espace ainsi qu’ avec les autres participants.
  • Ensuite nous pénétrons à l’intérieur de nous-mêmes pour devenir conscients de la circulation intérieure de l’énergie, des courants d’énergie qui font lever notre bras, ou déplacer notre jambe, et engagent le mouvement de notre corps. Ceci est particulièrement visible lors des transitions entre les positions.
  • Puis plus profondément, nous prenons conscience de l’impulsion, qui est à la source de ce mouvement d’énergie.
  • Et finalement, nous devenons conscients de l’archétype du mouvement, le cœur même du mouvement d’où toutes les autres dimensions émergent. La science des mouvements est étroitement liée à la science des archétypes

Un œil tourné vers l’intérieur, l’autre vers l’extérieur

Pour cela, il est nécessaire de commencer par trouver le bon alignement en nous-mêmes, ce que nous appelons « la position zéro », le bon équilibre entre tensions et relaxation dans le corps, le cœur et l’esprit. Il est également nécessaire de maintenir l’attention et la capacité d’observer. Et donc, nous plaçons encore et encore notre centre de gravité dans le témoin, sans critiquer, analyser, comparer, mais simplement en observant.

Les mouvements appartiennent à une hygiène de vie intérieure, une discipline intérieure et l’ouverture vers la liberté. À travers eux, nous regardons notre vie, notre oscillation entre le monde externe et le monde interne. À travers eux, nous cherchons l’équilibre nous permettant d’avoir
« un œil tourné vers l’intérieur, l’autre vers l’extérieur » : sans se faire emporter ni être dépassé par les évènements extérieurs et les autres et sans non plus nous retirer dans les plus profonds recoins de nous-mêmes, incapables de communiquer ou d’agir.

Nous commençons par réaliser combien notre champ d’attention est infime, à peine quelques secondes, puis le train automatique des pensées nous emporte. Ceci est immédiatement reflété par une « erreur » dans la forme extérieure, ou un automatisme qui enlève la véritable grâce inhérente de ces mouvements. Cela reflète la vie ordinaire de la plupart des gens, manipulés par les joies et les peines déclenchées selon les ficelles tirées par le rouage de la vie. Mais, peu à peu, grâce à une qualité d’attention devenant à la fois plus soutenue et subtile — ce n’est qu’une question de pratique… et de souhait — une autre vision se dévoile, une nouvelle sensation irradie le corps, non dans ses différentes parties, mais dans son ensemble, entièrement éveillé et vibrant d’énergie.

Pour les débutants, la principale difficulté initiale reste dans l’apprivoisement du corps, dans le fait de casser son automatisme et son apathie, en établissant des séquences de postures correctes et des déplacements individuels et au sein du groupe. La vigilance est constamment appelée dans différentes parties du corps, simultanément et successivement. On remarque combien nous ne sommes pas maîtres du bon équilibre entre tensions et relaxation. Nous apprenons à reconnaître les différentes résistances, qui sont les demandes naturelles d’une certaine posture ou d’un mouvement, et les tensions émotionnelles supplémentaires que nous amenons trop souvent. Une attitude nonchalante donnera un mouvement soit trop rigide, soit trop mou. Vigilance et absence de tensions sont les conditions pour que l’harmonie s’établisse. Quand la vigilance est totale et purifiée du « bagage » inutile que sont les tensions physiques, les soucis, les charges émotionnelles, l’agitation du mental, alors elle nous conduit soudain à une sensation sereine de l’ensemble de notre être, aussi bien qu’à une conscience de la salle, des membres du groupe, de l’air, de la musique…
Le mouvement se passe sans l’interférence ou le contrôle du mental. Nous « sommes dansés » par l’esprit du mouvement. La grâce descend… Nous sommes passés de la participation active issue des efforts du corps et de l’attention à un abandon actif, plus léger, sans effort… là où le ciel rencontre la terre… Ce que les taoïstes appellent « wei-wu-wei », l’action dans l’inaction, l’effort dénué d’effort.

En voyant les difficultés que l’on rencontre dans un corps qui au début semble maladroit, les émotions surgissent. Gurdjieff était provocant ; un « danger » selon Michel de Salzmann, un danger pour notre confort, nos illusions, notre image et notre passivité. L’inconfort n’est pas tant physique qu’émotionnel et mental. Ce sont les mémoires d’être « nul » à l’école ou la tension d’être « parfait », l’auto condamnation, les comparaisons, les désirs de résultat, l’identification avec le succès. Cependant si nous pouvons nous maintenir notre centre de gravité dans le témoin (et c’est le principal support qu’un instructeur puisse offrir !), à ce moment-là une leçon très bénéfique est apprise : la possibilité de nous distancier de nos émotions et pensées qui si souvent empêchent le libre cours de l’énergie et de la vie. Le découragement, la colère, la frustration, la peur, l’avidité ou les croyances telles que « Je serai incapable de… » « Je ne suis pas assez bon pour… », affectent dans notre quotidien la clarté de nos décisions, l’harmonie de nos relations, et empêchent la réalisation de notre potentiel, nous maintenant dans une prison psychologique. D’où la recherche d’unité… Durant la pratique des Mouvements, nous faisons face aux fragments de notre personnalité, et une distance se crée. Vous y faites face et vous lâchez ; vous y faites face et vous lâchez. La qualité de l’attention demandée par ces étranges mouvements « sacrés » ne vous laisse pas vous y accrocher. Et le retour continuel simplement aux sensations du corps — la respiration, le poids, l’alignement, et la circulation de l’énergie. Telle est la danse de la vigilance.

PART 2